Arthur ~ J'ai connu des rois, mais j'ai aussi failli avoir la tête tranchée

- Monsieur Carron, vous ne pouvez pas entrer, attendez dehors nous viendrons vous chercher lorsque ce sera bon.

A peine avait-elle prononcé ces mots que la femme retourna dans la chambre et en referma la porte. C'était moi le père bon sang, j'avais quand même le droit d'entrer et de tenir compagnie à ma femme, non ? Elle semblait tellement souffrir. Je faisais les cent pas devant la porte sous l'oeil amusé de ma mère. Elle était déjà passé par là naturellement, elle savait comment cela se passait, même si elle m'avait dit que tout irait bien, que je n'avais pas à m'inquiéter, je n'avais que vingt ans et savoir que ma femme était en train de donner la vie, c'était...oui c'était impressionnant.

- Allons mon fils, calmez-vous, cela ne sert à rien et puis vous allez finir par abîmer le plancher.

Je me précipitais vers ma mère qui était assise calmement sur un fauteuil et je lui pris les mains, me laissant tomber à genoux à ses pieds.

- Oh mère, elle semble tellement souffrir. Ne peut-on faire quelque chose ? Il faut qu'elle sache que je suis là pour elle, pour la soutenir.

Ma mère me sourit doucement et caressa mon visage.

- Ne vous en faites pas Arthur, elle le sait et c'est cela qui lui donne la force de continuer. Croyez-vous que votre père était calme lorsque j'ai accouché de vous ?

Je levais les yeux vers mon père qui semblait fasciné par la tapisserie du salon, tapisserie qu'il connaissait pourtant par coeur. Je reportais ensuite mon attention sur ma mère qui continua son récit.

- Il était aussi nerveux que vous et...tenez, il faisait comme vous, il faisait les cent pas devant la porte. Vous avez confiance en moi, n'est-ce pas ?

- Bien sûr mère.

- Alors n'ayez pas peur, tout ira très bien.

- Mais cela fait plus de deux heures que ça a commencé.

- Je le sais, mais cela pourrait très bien continuer pendant encore deux heures.

J'allais ajouter quelque chose, mais les pleurs d'un bébé se firent entendre. De surprise, j'ouvris la bouche sans qu'aucun son n'en sorte. Je me levais vivement, déposant un baiser sur les mains de ma mère et me précipitais devant la porte de la chambre qui s'ouvrit au même moment. Je m'engouffrais dans la pièce pour voir ma femme, fatiguée, mais semblant si heureuse.

- Regardez Arthur...vous avez un fils.

Un fils ? Mon dieu...quelle joie. Je m'approchais de ma femme et lui embrassais délicatement le front. Elle me tendit ensuite mon fils que je pris doucement dans mes bras. Je le contemplais, un immense sentiment de fierté s'empara de moi.

- Bienvenue dans ce monde Gaston Carron.

Je me réveille en sursaut. Encore ce rêve...celui de la naissance de mon premier enfant. Mon premier enfant, quelle bonne blague. J'ignorais à l'époque qu'étant un sorcier, j'étais stérile....en fait, mes deux enfants ne sont pas de moi, je ne l'ai compris que plus tard. En voulais-je à ma femme ? Non, lorsque je l'ai appris, lorsque j'ai compris que ma femme m'avait trompé...elle était morte depuis plus d'un an...inutile de s’appesantir là-dessus.

Soigneux, respectueux, calme...tels sont les mots qui viennent en premier à l'esprit lorsque l'on veut décrire Arthur. De son éducation bourgeoise du dix-huitième siècle, il a gardé une certaine retenue, un calme en toute circonstance. Cependant, notre ami n'est pas parfait, loin de là. Il est jaloux, possessif, un peu "old school", comprenez par là qu'il a du mal à s'adapter aux nouvelles technologies. Lorsque le téléphone a fait son apparition, il a fallu beaucoup de temps à Arthur pour accepter d'en avoir un et je ne parle pas des téléphones portables. Il en possède un, mais c'est un basique, il sait à peine le faire fonctionner. Il regrette l'époque où les gens communiquaient réellement, aujourd'hui tout semble factice, parce que électronique. Internet a remplacé le journal papier du matin, les réseaux sociaux ont remplacé les terrasses des cafés et les gens ne s'écrivent plus de longues lettres, cela est fort regrettable...tout du moins, c'est ce qu'il pense. Bien qu'il sache se battre, il n'aime pas employer la violence, cependant c'est quelqu'un de prêt à tout pour défendre ceux qu'il aime. Sa cécité n'a rien changé à cet état de fait. Il est loyal et en contrepartie, il ne pardonne pas la trahison, jamais. Arthur est quelqu'un de tendre, mais son éducation fait qu'il ne sera jamais démonstratif en public, cependant, dans la sphère privée, il sait se montrer tactile et n'hésite pas à distribuer des marques d'affection à son entourage.

Tout commence par un beau matin d'avril 1740 à Paris. La famille Carron voit arriver leur fils aîné Arhtur. Oui, c'est bien moi, Arthur Carron, seulement aucun lien avec l'écrivain Beaumarchais si jamais vous vous posiez la question. Mes parents étaient nobles, j'ai vécu une enfance heureuse, entouré de tout l'amour dont on puisse rêver. Un frère et une soeur vinrent très vite compléter la famille. À cette époque, les familles nobles n'avaient pas un nombre impressionnant d'enfants, c'était plutôt les paysans qui avaient une longue lignée, peut-être est-ce pour cela que nous n'étions que trois enfants. Je l'ignore. Quoi qu'il en soit, mes parents avaient leurs entrées à la Cour du Roi. J'ai moi-même vu le souverain quelques fois et il était impressionnant. Oh, il n'avait pas un charisme éblouissant, mais il se dégageait de lui une certaine innocence, une envie de bien faire qui était touchante. À ce moment-là, je n'entendais rien à la politique, j'ignorais alors que notre cher Louis XVI finirait son existence avec la tête en moins. Ceci étant, n'avançons pas trop vite.

Lorsque j'eus quinze ans, mes parents arrangèrent un mariage avec la fille d'un de leurs amis. Ils voulaient, par cette union, augmenter la fortune familiale qui était déjà relativement importante. Je vous vois froncer les sourcils, mais sachez que cela se faisait beaucoup. Rares, cependant, étaient les mariages qui se passaient bien. J'eus pourtant la chance d'avoir une jeune femme formidable comme épouse. Elle était attentionnée, tendre et aimante. J'ai fini par sincèrement en tomber amoureux. Elle me donna deux beaux enfants Gaston et Antoine. Mes parents décédèrent à un an d'intervalle. Ma mère mourut après une chute de cheval en 1780 et mon père mourut de chagrin l'année suivante. En 1789, la Révolution française éclata et, être noble à cette période de l'Histoire de France n'était pas vraiment une bonne chose. Nous fûmes obligés de fuir, cependant, nous n'avions pas réussi à fuir très loin et mon frère, ma soeur, ma femme et mes enfants furent tués sous mes yeux, sans que je ne puisse faire quoi que ce soit. Le chagrin qui s'empara de moi fut immense. Vous devez certainement vous demander pourquoi je n'avais rien pu faire ? Tout simplement parce que je m'étais absenté quelques instants pour tenter de nous trouver une cachette et ce ne fut que lorsque je suis revenu que je vis, de loin, ma famille se faire tuer. Je ne pouvais rester sans bouger, sinon j'allais mourir à mon tour, mais d'un autre côté, je venais de perdre tous ceux que j'aimais, toute ma famille, en une fraction de secondes. Pourtant, l'être humain possède un instinct de conservation qui l'incite à éviter la mort lorsqu'il le peut. Seulement, je ne bougeai pas assez vite et me retrouvai rapidement en mauvaise posture. J'étais cerné. Là, il se produisit quelque chose que je ne devais jamais oublier. L'écart entre les doigts de mes mains semblait se recouvrir d'une fine pellicule de peau. Je levais mes mains, tel un automate et une vague d'énergie expulsa au loin mes assaillants. Je ne comprenais pas ce qu'il venait de se passer, mais je me sentais étrange, je me sentais changé et cela me fit peur, alors je fuis cet endroit en courant, je devais me cacher de toute manière, au moins jusqu'à ce que tout cela se calme.

Je suis resté caché pendant presque deux ans. Tout au long de ces années, j'avais réussi à retrouver un carnet qui avait appartenu à ma mère et qui n'avait pas brûlé dans l'incendie que notre maison de famille avait connu lors de la Révolution. Ce que j'appris dans ce carnet fut...perturbant. Avant que ma mère ne se marie avec mon père, elle eut une mésaventure avec quelqu'un...il s'agissait d'un démon. Je n'osais croire ce que je lisais, je savais que le Diable existait bien sûr, mais un démon, sur terre. Non, je trouvais cela tellement incroyable et pourtant, étant donné la description qu'elle en faisait, cette chose n'avait rien d'humain. Et ce...ce démon abusa d'elle. Seigneur, ma mère avait tellement souffert. Le plus choquant dans toute cette histoire, c'est lorsqu'elle écrivit qu'elle se retrouva enceinte après cette "mésaventure" et que c'était pour éviter le déshonneur que le mariage avec mon père fut prévu. Ainsi, j'étais le fruit d'une agression, mon véritable père était un démon. Je n'osais le croire. Je ne disposais pas de beaucoup de ressource à l'époque, je pus cependant découvrir que cela s'était déjà produit et que l'enfant qui en résultait devenait un sorcier. Ainsi donc, j'étais un sorcier ? Qu'avais-je fait au Ciel pour mériter une telle malédiction ? Oui, à l'époque, je prenais cela pour une malédiction. Mes pouvoirs se manifestaient sans que je puisse les contrôler. Je risquais de blesser des gens. Alors, j'ai fait ce que tout individu censé aurait fait. Je me suis caché, j'ai vécu reclus.

Je ne suis sorti de ma réserve qu'une seule fois, c'était en 1791 et je fis une rencontre qui bouleversa mon existence. Il s'appelait Magnus Bane. Il était un sorcier, tout comme moi, lui n'avait cependant pas l'air de prendre cela pour une malédiction. J'ai fait une chose que je n'aurais jamais crue possible, je l'ai supplié, oui, vous avez bien vu, j'ai supplié Magnus de m'aider à gérer mes pouvoirs, je savais que seul, je ne réussirais à rien. Ce fut un soulagement pour moi lorsqu'il accepta.

Nous avons fait chemin ensemble pendant quelques années, je le suivais partout où il allait, apprenant tout ce que je devais savoir à ses côtés. Et puis, le jour où je fus assez aguerri pour assumer seul celui que j'étais, nos chemins se séparèrent, cependant, je lui fis une promesse, celle d'être toujours là pour lui. Magnus était vraiment quelqu'un de formidable, il n'y a rien que je ne ferais pas pour lui. De fait, nous sommes restés en contact tout au long de ces années. D'abord par courrier, puis il a voulu essayer le téléphone. C'est à cause de lui si je me suis acheté un téléphone portable.

Durant mon périple en solitaire, j'en profitais pour accroître mes connaissances et j'entraînais mes pouvoirs pour les renforcer. Je visitais de nombreux pays et rencontrais d'autres personnes. Je tombais amoureux parfois, hommes ou femmes, aucune différence.

Il y a dix ans, il y eut un autre bouleversement dans ma vie. Je fis la connaissance d'une femme, elle s'appelait Sofiane et elle était...elle était tout simplement magnifique. Belle aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur. Son âme était si pure. Elle me faisait tellement penser à ma femme. Je la retrouvais en elle. Je tombais amoureux d'elle presque au premier regard et je commençais tout naturellement à lui faire la cour. Cependant, ce ne fut pas du goût de tout le monde. Sofiane était également l'objet de "désir" d'un démon. Son nom ? Je n'en ai aucune idée, la seule chose que je sache, c'était qu'il était très puissant. Quand il sut ce que je ressentais pour Sofiane, cela le mit dans une grande colère et, un jour que j'effectuais un rituel, il apparut en plein milieu du cercle que j'avais dessiné. Pourtant, ce n'était pas lui que j'invoquais à la base. Il ne me laissa pas le temps de réagir et brisa les protections du cercle. Il s'éclipsa et revint un quart de secondes plus tard avec Sofiane dans ses bras. Tout s'enchaîna très vite. Il tua Sofiane sous mes yeux et, pour me punir encore plus...il prit ma vue et fit en sorte que je ne puisse jamais la recouvrer, peu importe le sort que je pourrais utiliser.

J'étais dévasté. À nouveau, on me prenait la personne que j'aimais sans que je ne puisse faire quoi que ce soit. Je ne devais cependant pas me laisser abattre. J'étais aveugle, oui, mais pas complètement impotent. Je devais me battre pour surmonter cela. Je le devais pour ma famille, morte deux siècles plus tôt, pour Sofiane qui venait de perdre la vie pour quelque chose qu'elle ne comprendra jamais. Je me suis donc doublement entraîné, j'ai appris à vivre avec ma cécité, puis j'ai renforcé mes sorts défensifs. Si je venais à être attaqué, je devais pouvoir me défendre, ne pas compter sur l'aide extérieure que je pourrais éventuellement avoir, je devais apprendre à compter sur moi-même et c'est ce que je fis.

Aujourd'hui, dix ans plus tard, me voici, arrivant aux Etats-Unis. Je viens tout droit de France. J'arrive à New-York, je veux revoir mon ami, je veux revoir Magnus. Il n'est pas au courant pour la mésaventure qui me touche, je ne sais comment il réagira quand il apprendra que je suis aveugle, je ne le lui ai jamais dit au cours de nos conversations téléphoniques.

Si, d'aventure, vous croisez un type original qui se promène avec une canne surmontée d'un pommeau représentant une tête de panthère et chaussant des lunettes de soleil, vous saurez que c'est moi.